Le mensonge du colonialisme pour permettre l’exploitation et la pollution

Florian Irminger
3 min readOct 26, 2020

Les milieux économiques opposés à l’initiative pour des multinationales responsables prétendent notamment que cette initiative serait néocoloniale.

Isabelle Chevalley, dont le parti soutient pourtant l’initiative, s’est illustrée dans le domaine — en sus de ses attaques contre les ONGs, qu’elle oppose aux entreprises privées ayant généré « des millions d’emplois en Afrique ». L’argument invoqué par celle qui se dit une « Africaine de cœur » est donc son opposition au néocolonialisme de l’initiative. L’initiative viserait à imposer des normes suisses dans les pays dans lesquelles les entreprises dont le siège social est en Suisse sont actives.

« L’initiative sur les entreprises responsables ne fait pas peur aux entreprises », Le Temps, 14 octobre 2020

Quelles sont ces normes ? Le respect des droits de l’homme et de l’environnement, au sens du nouvel article 101a, alinéa 1, de la constitution, si l’initiative venait à être acceptée par le peuple et les cantons. Ainsi, au sens du texte de l’initiative, il incomberait à la Suisse de s’assurer, comme état où les entreprises ont leur siège, que ces dernières « [respectent] également à l’étranger les droits de l’homme internationalement reconnus et les normes environnementales internationales ».

La contre-vérité est évidente : l’initiative ne vise pas à imposer des normes suisses, à l’image du « droit d’outre-mer » ou du « droit de l’Union française » comme voudrait nous le faire croire Isabelle Chevalley.

Ainsi les opposant·e·s à l’initiative renvoient les droits humains à des normes coloniales, imposées par l’occident sur le reste du monde. C’est l’argumentaire que j’ai tant entendu dans mon travail aux Nations Unies par les diplomates russes, égyptiens, celles et ceux représentant l’Érythrée et bien d’autres dictatures. C’est l’argument utilisé par les cibles des enquêtes de la Cour pénale internationale. C’est aujourd’hui aussi l’argument utilisé par les dirigeants hongrois et polonais.

Les États dans lesquelles les entreprises suisses sont actives ont librement ratifié les instruments de protection des droits humains. Par contre, ces États sont souvent trop faibles structurellement et économiquement — confrontés de surcroît à des groupes armés et guérillas, dans des contextes d’instabilité régionale — pour imposer le droit aux multinationales et les tenir pour responsables de leurs actes. La faiblesse de l’état de droit et l’omniprésence de la corruption permettent à des entreprises d’agir, par elles-mêmes ou leurs filiales, en violations des normes internationales — et d’en faire autant sans conséquences, sans être tenues responsables.

Jamais, pour ne prendre qu’un exemple, la République démocratique du Congo, qui a ratifié l’Accord de Paris le 13 décembre 2017, deux mois après la Suisse, n’a invité ou accepté que la filiale de Glencore active dans le pays ne contamine des champs, des terres cultivables et des rivières. Ceci sans conséquence pour Glencore, mais avec des conséquences énormes pour les populations concernées. On pourrait prendre d’autres exemples, parler de l’exploitation et du travail forcé.

Enfin, les normes promues par l’initiative pour des multinationales responsables sont transcrites et contenues dans la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, qui, d’ailleurs, reconnaît le droit à un environnement sain (article 24) et à la libre disposition des richesses et des ressources naturelles dans le cadre d’un ordre économique international fondé sur le respect mutuel, l’échange équitable et les principes du droit international (article 21).

La Charte a été ratifiée par 54 des 55 États affiliés à l’Union africaine. Une « Africaine de cœur », certes, mais qui devrait relire la Charte de protection des droits humains que les peuples d’Afrique se sont donnés et qui devrait s’appliquer à celles et ceux qui exercent des activités en Afrique, y compris lorsque leur siège est en Suisse. Voilà, pour le colonialisme…

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Florian Irminger

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