Axel Kahn nous laisse sans voie

Florian Irminger
3 min readJul 6, 2021

La mort d’Axel Kahn me fend le cœur.

Axel Kahn, le 14 avril 2015 à Paris. ERIC FEFERBERG / AFP

Axel Kahn m’avait marqué, lors d’un congrès de prévention du suicide organisé au Conseil économique et social. Son discours, alors qu’il dirigeait l’Institut Pasteur, était personnel et beau. Il y parla du suicide de son père, dont il ne s’est jamais remis, là où d’autres auraient avancé des statistiques et le résultats de recherches. Axel Kahn rejette alors la possibilité du choix ; le philosophe en Axel Kahn demande si le choix de la mort est conscient alors que l’on prend des choix en conscience ; le généticien argumente que le corps est habitué à prendre des choix dès la naissance, peut-être même avant celle-ci, et que chaque erreur on apprend a la réparer, ainsi se développe-t-on. Le choix du suicide, de la fin de la vie, un choix irréparable, semble donc une décision au-delà du concevable pour un humain. Il est donc en droit de se questionner sur ce choix. Les premières années de STOP SUICIDE ont été marquées par cela, d’autant plus nécessaire pour les jeunes.

Ce discours m’est donc resté. Axel Kahn m’est resté depuis notre rencontre, lorsque je n’avais encore 20 ans. Je l’ai donc lu, l’ai suivi, un lien indéfectible s’est installé. Nous n’avons jamais correspondu, mais j’ose croire qu’il a marqué ma pensée personnelle et politique. C’était probablement unilatéral.

Et je l’ai retrouvé dans la recherche de la bonne réponse à la pandémie du Covid-19, une crise sanitaire sans précédent. La voie éthique qu’offre Axel Kahn comme réponse est éblouissante. Ses prises de parole nous rappellent à notre responsabilité à l’égard des plus faibles dans cette crise et au devoir de la société de pouvoir donner des soins à celles et ceux qui en ont besoin. Un devoir, certes, mais possible que si chacun-e contribue à limiter les risques. Dans Le Monde du 28 février, se sachant touché par un cancer qui l’attrapera, il s’interroge sur nous — comme un regard déjà dans le posteriori : qu’avons-nous « manqué » pour que le discours ambiant vis-à-vis de la pandémie soit à ce point contaminé par l’« irraison la plus totale » et par le complotisme.

Son père lui avait laissé un message : « Sois raisonnable et humain. » Il a été déraisonnable ; déraisonnable à plaider sans cesse la cause des discriminés et des laissés-pour-compte, déraisonnable à vouloir une société du respect et de la solidarité, déraisonnable à défendre que les enfants criminels, pas plus que celles et ceux suicidaires, ne sont marqués à jamais dans leurs gênes, comme l’avait dit Nicolas Sarkozy, déraisonnable jusqu’au bout en défendant que la réponse qu’une société donne au Covid-19 la marquera au sceau parmi les coupables ou non face aux victimes.

Nous n’avons avec Covid-19 pas encore vécu le pire. Le pis sera lorsque nous nous réveillerons, une maladie connue de plus dont nous saurons nous protéger, mais que nous réaliserons le nombre de décès indus, de longues maladies, de regrets, de vies brisées et le renforcement des théories du complot, de la haine contre les élites et du renforcement des illibéraux.

Le décès d’Axel Kahn nous laisse sans voie, au moment où nous aurions le plus eu besoin de celle-ci.

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Florian Irminger

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